Baal : A corps perdu

Mise en scène par Armel Roussel et jouée au théâtre de la Tempête, « Baal », la première pièce de Bertold Brecht, nous raconte le parcours d’un poète antisocial, amoral, avide de sexe, d’alcool et de vers libres.  

© Pascal Gely 
 
Après « L’éveil du printemps » montée en 2020, Armel Roussel revient au théâtre de la Tempête pour présenter Baal, la première pièce écrite par le jeune Berthold Brecht, alors âgé de 19 ans dans sa version originale. Brecht en écrira cinq versions. La dernière en 1955, un an avant sa mort. En 27 tableaux, nous cheminons aux côtés de ce poète et personnage sulfureux, qui défie les conventions sociales et morales avec une liberté débridée. 

Interview d’Armel Roussel mixée avec des extraits de Baal

La pièce à l’origine s’appelait Baal baise ! Baal danse !! Baal se transfigure !!! Moi je suis parti de cette version-là. C’est un texte très pertinent, très percutant particulièrement dans la période post #MeToo dans laquelle on est. C’est très rare de lire un texte qui puisse faire à la fois le portrait d’un personnage masculin qui est clairement un porc mais qui est à la fois un porc mais aussi un poète. Brecht disait un être asocial dans une société asociale. L’idée était non pas de défendre un agresseur mais plutôt de travailler sur la faille et le trouble. Je suis un peu fatigué de voir des spectacles où l’on m’explique ce que je doit penser. Moi je préfère faire des spectacles qui ouvrent des portes avec des libertés d’analyse, de pensée et de jugement chez les spectateurs et pas à partir du plateau.

Des amuse-gueules en entrée

Dès l’entrée de la salle du théâtre, les comédiens nous accueillent avec un verre de vin blanc et de petits canapés au saumon fumé. Ces amuse-gueules réchauffent l’ambiance. Avant même que la pièce ne commence, les spectateurs sont invités à participer à un karaoké de la chanson « Psycho Killer » des Talking Heads par le comédien qui joue Baal. Belle entrée en matière dans l’univers provocateur et sans concession du poète.

I can’t seem to face up to the facts
I’m tense and nervous and I can’t relax
I can’t sleep ’cause my bed’s on fire
Don’t touch me, I’m a real live wire


Psycho Killer
Qu’est-ce que c’est ?

Un anti-héros provocateur et séducteur

Baal est un poète lyrique et voyou qui se moque de la gloire et de la reconnaissance. Il préfère vivre selon ses pulsions, sans se soucier des conséquences. Il boit, il chante, il couche avec toutes les femmes qu’il croise, qu’elles soient mariées, vierges ou prostituées. Il trahit ses amis, il vole. Il n’a de respect pour rien ni personne, pas même pour lui-même. Il est l’incarnation de l’artiste maudit, qui refuse toute compromission avec la société.

La pièce se déroule avec une énergie effrénée, transportant le public dans l’univers sombre et turbulent de Baal. Anthony Ruotte livre une performance époustouflante dans le rôle-titre, étant présent sur le plateau du début à la fin de la pièce. Sa présence magnétique et sa maîtrise du personnage donnent vie à Baal avec une intensité saisissante.

Une pièce scandaleuse et subversive

Brecht a écrit Baal sous l’influence d’Arthur Rimbaud et de François Villon. Il s’inspire aussi de sa propre expérience de la guerre et de la révolution. Il veut choquer son époque, qui sort traumatisée du premier conflit mondial. Il dénonce l’hypocrisie et la corruption des élites, qui exploitent les masses populaires. Il critique aussi le conformisme et le puritanisme des classes moyennes, qui étouffent la créativité et la spontanéité. Il affirme la supériorité de l’art sur la morale, de la nature sur la civilisation.

Une mise en scène audacieuse et inventive

Les vingt sept tableaux de la pièce offrent une série de situations tragi-comiques qui mettent en lumière les dérives de Baal et son exploration de la liberté absolue. Les comédiens, tous très investis et justes, donnent vie à une galerie de personnages hauts en couleur et évoluent avec aisance dans les différents tableaux. L’atmosphère du bar en fond de scène apporte une dimension supplémentaire à l’histoire, créant un espace de rencontres, de débauche et de désillusion.

Baal se joue au Théâtre de la Tempête à la Cartoucherie de Vincennes jusqu’au 23 juin 2023.

CATCH ! Coups bas et verbes hauts

© Fanchon Bilbille

Le théâtre de la tempête ouvre sa saison 2021-2022 en frappant un grand coup avec force manchettes et clés de bras sur un ring avec la pièce Catch mise en scène par Clément Poirée et servi par une troupe d’acteurs-lutteurs de haute voltige.

L’entrée se fait par l’extérieur. Deux rideaux bleu électrique surmontés d’un néon sur lequel brille Catch ! attire les spectateurs chalands. On entre et là les habitués du lieu ont un choc. La grande salle Serreau du théâtre de la Tempête a été totalement transformée. En lieu et place de la scène, trône un ring. De part et d’autre de celui-ci des gradins ont été installés. Les murs de la salle sont tagués. Côté cours, on aperçoit des grillages derrière lesquels est installé une batterie. L’attente. Soudain un homme et une femme s’adressent à nous. 

« Bonsoir à tous. Ici ce n’est pas du théâtre que vous allez voir mais du catch. Alors, n’hésitez pas à crier, à huer, à applaudir. Et à participer au spectacle qui se passe sous vos yeux. Si vous voulez circuler autour du ring, vous pouvez le faire mais à vos risques et périls… » 

Un catcheur masqué en combinaison argentée se glisse derrière la batterie et commence à taper avec son pied sur la pédale de la grosse caisse au rythme de « We will rock you » de Queen. Chanson musclée qui harangue les spectateurs et les chauffe avant les combats de catch théâtral qui vont se succéder durant près de trois heures (c’est un peu long).

© Fanchon Bilbille
Clément Poirée, producteur et metteur en scène

La vengeance féminine sur le ring

« C’est une forme un peu différente du travail d’acteur qui est de l’ordre de la représentation et de l’interprétation. Ce n’est pas tout du pur théâtre, ni tout à fait du pur catch. » Précise Clément Poirée. Nous assistons à du catch théâtral au cours duquel s’affrontent des personnages outranciers Battery Pork, Misandra, Kaapital, KassNoisette, Saturne ou Priapico. Ils usent des codes du catch pour abuser de la fourberie et se donner des coups bas, tout en lançant des coups de gueule. Si les combats ont été chorégraphiés par Vince Greenleaf, un catcheur professionnel, les textes des acteurs-lutteurs ont été écrit par cinq auteurs (Hakim Bah, Emmanuelle Bayamack-Tam, Koffi Kwahulé, Sylvain Levey et Anne Sibran) à la demande du metteur en scène. La majorité des textes mettent en mots la brutalité des rapports homme-femme. 

Pour Clément Poirée, « c’est un peu comme « un cadavre exquis, comme un inconscient collectif qui s’exprime car les auteurs ne sont pas concertés. Les combats mettent en scène des vengeances féminines. Sur le ring les femmes rendent les coups. Que soit le personnage de KassNoisette ou celui de Misandra. Ce sont de vraies amazones et des vraies combattantes. Elles occupent le ring tout autant que les hommes. » 

C’est tout vu. Allez expérimenter ce catch théâtral qui use de l’art du faux et de la cascade. Où l’on voit couler du sang, de la sueur et des larmes de pacotilles.

Mais attention, souvent le faux permet d’aborder de façon rapide et légère nos vrais problématiques sociétales.

Clément Poirée

Un spectacle protéiforme et hétérogène sans obligation de silence 

Avec Catch, les codes du théâtre en salle sont rompus. Cette parenthèse déjantée se situe entre le show spectaculaire du cirque et le théâtre de tréteaux de la comédia del arte, voire du spectacle de rue où les acteurs harangue la foule. Par moment, on se croirait revenu à l’époque de la TV en noir et blanc des années soixante, quand Roger Couderc commentait, avec son accent chantant du Lot, les matchs de catch entre Chéri Bibi et René Ben Chemoul. 

Avec son équipe d’acteurs, Clément Poirée avoue explorer de nouvelles voies de la représentation. 

« Celles-ci ne se réduisent pas au théâtre frontal ou d’experts qui vous regarde dans un silence religieux. C’est la foire, c’est grotesque et il n’y a aucun rapport d’obligation. Le spectateur prend ce qu’il veut dans ce spectacle protéiforme et hétérogène. Il est dans un autre rapport de liberté avec ce qu’il voit. »

C’est tout vu. Allez expérimenter ce catch théâtral qui use de l’art du faux et de la cascade. Où l’on voit couler du sang, de la sueur et des larmes de pacotilles.

Mais attention, souvent le faux permet d’aborder de façon rapide et légère nos vrais problématiques sociétales.

© Fanchon Bilbille

Idem : une pièce exutoire.

Idem

©D.R

Le théâtre de la Tempête présente Idem, création collective de la troupe des Sans Cou inspirée de la prise d’otage du théâtre de la Doubroska de Moscou en 2012. Expérience d’un Spectacle Vivant.
Une annonce comme un prologue

Igor Mendjisky, metteur en scène de la pièce Idem, prend la parole avant que les  comédiens n’entrent sur le plateau. « Après  ce qui s’est passé le vendredi 13 novembre, il me semblait essentiel de dire un mot avant la représentation. On a monter Idem en tentant de s’interroger sur ce que pouvait être l’identité et notamment de ce que pouvait être les identités meurtrières…Dans le spectacle il y a une scène de prise d’otages qui se voulait extrêmement froide et réaliste. Nous n’avons pas voulu la couper mais vous la raconter plus que de la jouer pour tenter de faire  preuve d’une certaine pudeur par rapport aux évènements tragiques. »

Tragi comédie identitaire

Prise d’otage dans un théâtre en pays inconnu. Rafales de kalachnikov en pleine représentation. Un homme s’écroule, un autre perd la mémoire. Que faisait-il là ? Etait-il spectateur, comédien ou membre du groupe des terroristes ? Le thème de la pièce sur l’identité est planté. Cet homme perdu, qu’on appelle Alban le français, est comme une coquille vide fragile et malléable à merci. « Quand on ne sait plus qu’y on est et qu’on vous offre une veste chaude, une camaraderie, un groupe. On y va. » Cette réplique qui donne un sens à l’embrigadement a une résonance particulière avec l’actualité. L’identité meurtrière colle aux basques de l’homme amnésique. Ce moment tragique, n’est que le point de départ de la pièce. Durant trois heures, les huit comédiens nous font rencontrer une panoplie de personnages tragiques et  burlesques à la fois. La femme du disparu qui cherche son mari a en perdre la raison, une troupe de super héros qui veulent sauver le monde, un faux auteur excentrique, un poète gourou qui harangue les foules… Et comme un leitmotiv, la fille d’Alban le français qui passe des dizaines de coups de fils à des inconnus en quête de son père. Avec ces personnages, nous passons de l’âpreté du réel à la douceur du rêve, de la tragédie au rire. En regardant ces situations kaléidoscopiques, nous ressentons l’urgence de ce récit chorale. Les thèmes identitaires abordés se répondent et résonnent avec le public. Identité individuelle, identité de groupe, identité artistique, qui ne les a pas recherchés ? Les Sans Cou nous donne à voir un patchwork du monde, de l’actualité. Quand, à la fin de la représentation, les comédiens devant le plateau saluent les spectateurs en faisant mine de se pendre le poing en l’air, on comprend la saveur d’aller au théâtre et d’y trouver un exutoire nécessaire.

La nécessité de jouer pour les Sans Cou

Les attentats de Paris ont renforcé leur posture d’acteur. Pour Igor Mendjisky « la réalité est venue frapper fort à la porte de notre fiction. Cela nous bouleverse terriblement. En même temps, il ne faut que cela nous empêche de faire notre métier. Nos mots sont nos armes et il faut continuer à s’en servir ». Paul Jeanson puise ses forces dans la troupe. « Elle nous porte. Après les attentats on était tristes et le fait d’être ensemble, cela nous a permis de retrouver la blague, l’humour, l’envie d’être sur scène.» Clément Aubert avoue aussi que « remonter sur scène a été une nécessité. Quand on a rejoué la pièce, on s’est rendu compte que les spectateurs avaient besoin de cet effet catharsistique. Ils se disent touchés. Quelque chose s’est passée en eux. »  Arnaud Pfeiffer affirme rôle de comédien en étant « sur un plateau à travers un texte, un personnage. La meilleure réponse, c’est le spectacle qu’on joue qui est criant de vérité dans l’actualité. »

Retrouver des extraits de la pièce IDEM et des interviews d’Igor Mendjisky et de comédien de la troupe des Sans Cou

IDEM par la troupe des Sans Cou se joue au théâtre de la Tempête à la Cartoucherie de Vincennes jusqu’au 13 décembre

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