Le Grand Saut dans l’imaginaire

C’est le troisième roman de Thibault Bérard en littérature adulte. A la suite d’Il est juste que les forts soient frappés, et de Les Enfants véritables, sortis coup sur coup en 2020 et 2021 aux éditions de l’Observatoire, ce troisième ouvrage est la première réelle œuvre de fiction de Thibault Bérard.

La traversée du miroir

Après des années passées à guider les autres en littérature comme éditeur aux éditions Sarbacane, il a décidé de franchir le pas en se donnant le droit à l’écriture. Se faisant, il a traversé le miroir, quittant son travail et la région parisienne pour la province plus propice à sa nouvelle destinée d’auteur et à sa vie de famille. Mais revenons à son troisième roman Le Grand Saut.

Entre mort et vie

Une drôle de bouquin qui s’ouvre par la mort en direct, par infarctus, de Léonard, vieux, veuf, solitaire, rejeté par ses enfants pour avoir été infidèle, grande gueule, vulgaire et buveur invétéré. Quand il fait un infarctus, il voit sa vie défiler.

Tout au long des pages, on revit les moments clés de son histoire. Une histoire de rustre qui aurait pu être heureux, s’il n’avait pas été un soiffard attaché au goulot de ses satanés bouteilles de gin.

Il en était là, à crever tout seul dans sa cuisine comme un con, par un jour de grand beau. Il avait pris une suée et hop, en route pour l’enfer.  

Zoé est l’autre personnage principal du roman. A dix ans, elle décide d’impressionner sa mère en sautant du plongeoir de 10 mètres de la piscine du Center Parcs. Elle a toute la vie devant elle, pourtant, à son âge, elle prend des risques inconsidérés. 

C’est haut, terriblement haut. Quand elle se penche (mais il ne faut pas qu’elle se penche trop, elle pourrait glisserdu haut de ces dix mètres, dix mètres ! , avant de se fracasser la nuque dans l’eau) les gens lui semblent minuscules. De vraies fourmis.

On comprend qu’elle ne peut pas reculer et qu’elle doit faire le grand saut pour devenir une héroïne. Une vraie qui va venir au secours de sa mère tombée dans une profonde catatonie et qui se retrouve internée en hôpital psychiatrique. Au cours des pages, les destins de Léonard et de Zoé s’entremêlent. 

Processus de création

Ce roman est également un grand saut pour Thibault Bérard car il est de pure invention après ses deux premiers opus autobiographiques. 

Photo ©-Audrey-Dufer

Forcément, on met tous un peu de nous dans nos personnages. Léonard qui n’est pas très sympathique, représente tout ce que je ne veux pas être. C’est ma part noire, ma part obscure. Zoé, la petite fille, c’est mon amour pour l’imaginaire. Tout ce qui permet d’affronter le réel le plus dur en le rendant merveilleux par la grâce de l’enfance. 

Le processus de création relève un peu du défi et de l’observation pour Thibault Bérard. C’était un défi de commencer le récit par la mort d’un personnage principal. La deuxième scène, celle de Zoé, il y a assisté, en voyant sa propre fille sauter d’un plongeoir et en se disant que c’était un bel élan de vie. C’est le moment où l’on dépasse ses limites en affrontant le regard des autres.

Thibault Bérard a la plume alerte avec une écriture tout en image. On vit au rythme des vicissitudes des personnages, on plonge avec lui dans l’expression des émotions et des tourments de l’âme humaine. On refait surface en pleine résilience pour atteindre, qui sait, le bonheur.

Auteur prolixe, il vient de publier chez Gallimard JeunesseSuzanne Griotte et le parc aux limaces, un Faust, drôle et iconoclaste por filles dés 7 ans. Son quatrième roman en littérature adulte, qui sortira en 2024, aura pour titre Les Amazones, un quatuor de trentenaires fortes en gueule qui pourrait être des mousquetaires au féminin.

On attendant, on vous recommande Le Grand Saut aux Éditions de l’Observatoire.

 

Parlons de Berroyer

Sous une superbe couverture dessinée par Philippe Honoré (assassiné le 7 janvier 2015), Parlons peu, parlons de moi de Jackie Berroyer regroupe des chroniques musicales qu’il a publié dans le magazine suisse Vibrations, dans Fluide glacial et dans Siné Mensuel. Rencontre avec l’auteur qui se considère comme un écriveur tout terrain.

Commentées, distanciées, ces chroniques forment un carnet de bord où l’auteur note ses plaisirs musicaux et littéraires, ses histoires d’amours, ses problèmes d’argent et ses souvenirs avec des amis dont la plupart ont cassé leur pipe…

Mes chroniques, c’est un éparpillement substantiel, une manière de faire qui n’est pas du tout calculée. Je circule où le vent me pousse un peu comme le bouchon au fil de l’eau.

Au gré des pages, on se laisse porter et l’on partage les gouts d’un homme à la culture éclectique et ébouriffante.

Côté jazz, on voit passer et repasser Miles Davis, sa référence, un peu son gag à répétition. Côté rock, il apprécie le surréalisme décalé de Captain Beefheart et conseille d’écouter d’urgence son album « Bat Chain Puller ». Ce guitariste chevronné aux riffs détonants a été un compagnon de route de Frank Zappa. Au détour d’une chronique, il évoque la mort de John Lee Hooker.

J’ai ressorti tous ses vinyles en hommage. En général, j’écoute toujours mon ou mes morts de la semaine. Des morts qui ont compté pour moi de leur vivant.

Jackie Berroyer écrit sur la musique et il en joue aussi sur une guitare Rickenbacker pour le plaisir.

En ce moment j’apprends la manière de faire du bluesman Albert King et je suis à fond avec lui.

Question lecture, il apprécie les ouvrages qui le font phosphorer. Il mise gros sur Emmanuel Levinas, recommande l’Apocalyse de David Herbert Lawrence et les pensées d’Uriel Da Costa, un philosophe portugais du XVII ème exécuté car il n’était pas dans le dogme. La lecture le met en joie.

On peut avoir la joie de l’esprit comme la joie du corps quand on fait du sport. Quand j’étais petit, j’ai entendu un philosophe dire : Ce n’est pas à moi à vulgariser, ce sont aux autres à faire des efforts.

Les efforts intellectuels, c’est ça gymnastique personnelle. Son dernier plaisir est René Char en ses poèmes de Paul Veyne. Pour lui, la poésie est une nécessité.

Dans Parlons peu, parlons de moi, il y a une belle brochette de personnalités avec lesquels Jackie Berroyer a fait un bout de chemin. Le Professeur Choron, Reiser, Siné, Wolinski La bande d’Hara Kiri et de Charlie Hebdo de la grande époque. On retrouve aussi Michel Serrault, Jean Carmet, Maurice Pialat avec lesquels il a fait l’acteur. Rajoutons Philippe Honoré, auteur  de la couverture du livre, assassiné froidement le 7 janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo aux côtés de ses amis et collègues. Tous ont disparu.

Mes amis tombent autour de moi, ça ne me rassure pas. J’apprends à ralentir mon rythme en vieillissant et j’accorde plus d’attention aux gens, aux choses.

Avec l’échéance électorale qui arrive, Jackie Berroyer trouve le monde de plus en plus fou.

On vient de rentrer dans une phase où tout se complique, tout se mélange comme de la poudre. Les gens qui vont voter pour les fachos oublient l’histoire. Ils ne comprennent pas. Je ne leur en veux pas.

Le dernier Berroyer ne se lit pas d’une traite. C’est un livre de chevet. Il est goûteux. On le goûte et on y retourne.

Parlons peu, parlons de moi de Jackie Berroyer. Edition le Dilettante, 287 pages, 20 euros

Retrouvez cet article sur le site de Global Magazine